• Brother Mah

    Présentation de Pascal Mahdi a.k.a "Brother Mah" :

    Article de Boris Lutanie publié dans Ragga magazine n°44 (presse nationale/septembre 2003), pp. 25-29.


    Brother Mah

    Pascal Mahdi


    Plus connu sous le nom de "Brother Mah" ou "Jah Pascal", l'artiste-peintre Pascal Mahdi consacre une grande partie de son oeuvre actuelle aux grandes figures du mouvement rasta : Ras Pidow, Ras Sam Brown, Bongo Time, Bongo Kali, Ras Derminite... Fasciné par le visage parcheminé de ces "aînés rastas", Brother Mah s'attache à restituer l'histoire collective du mouvement Rastafari au travers du prisme de destins individuels.

    L'art jamaïcain émerge véritablement dans les années trente. Cette décennie voit aussi la naissance du mouvement rastafari. Longtemps méprisés, voire ignorés, les artistes rastafariens ne sont reconnus que depuis peu. Leurs oeuvres s'exposent plus volontiers sur les façades lézardées des ghettos que dans l'enceinte aseptisée des musées. Nombreux comme Ras Mc Lean préfèrent les murs ou les planches défraichies des yards aux supports traditionnels. Les portraits de Marcus Garvey, d'Haïlé Sélassié, de Bob Marley ornent de nombreux quartiers. L'art descend donc dans la rue sans vernissage ni petits fours. Si l'art rasta ne dédaigne pas l'abstraction, il reste le plus souvent figuratif. Les dessins de Ras Daniel Heartman, les toiles de Ras Dizzy excellent en ce domaine. La peinture copte éthiopienne demeure une influence majeure pour de nombreux plasticiens tels que Ras Coghill Leghorn, Jah Scratch I ou encore Ras Dubrick Edwards. Bon nombre de peintres rastafariens revendiquent une inspiration d'ordre divine ("Ivine Iration"). Guidé par Jah, Ras Witter Dread peint sur des bannières qui décorent les tabernacles lors des cérémonies Nyabinghi. A cette fonction rituelle et ornementale, d'autres assignent une portée militante à leur art. Dans cette perspective, des poètes (Mortimo Planno, Ras Sam Brown) et des Dub Poets (Mutabaruka, Bongo Jerry, Oku Onoura) s'efforcent de "réveiller les consciences", parfois au péril de leur vie comme Michael Smith. Les rastas ont investi tous les domaines de la création (danse, musique, théâtre, littérature...). La sculpture n'est pas en reste avec les masques et les statues de Ras Canute ou les superbes sculptures (taillées dans la fougère arborescente) de Ras Bolongo. Fortement marquées par une thématique liée à l'africanité, les créations rastafariennes sont parfois qualifiées de "naïves" et de "primitives" par certains critiques d'art. Rétifs à toute forme d'académisation (ce qui rappelle le refus des institutions religieuses et bâtiments, églises...), les rastas se méfient des catégories esthétiques officielles au même titre que des nouvelles valeurs estampillées "avant-garde contemporaine". Les collections de la Jamaica National Gallery recèlent de nombreuses oeuvres signées par des rastas sans parvenir pour autant à les soumettre à une classification muséographique précise. Depuis la fin des années 70, le mouvement Rastafari s'est très largement internationalisé et les créations de nombreux rastas a travers le monde ont été exposées au Musée d'Histoire Naturelle de Washingthon DC. Cette vaste exposition, conjointement organisée par le Smithsonian Institute, Jakes Homiak et Carole Yawney de IRAP, s'est déroulée fin 2003. Sous la forme d'une expo-festival, cette manifestation internationale accueillit aussi des groupes de percussionnistes rastas. Bref, pas de "formol-isation" muséologique au programme mais bien une ambiance festive. Les peintures du "chercheur de couleurs" Pascal Mahdi y figureront en bonne place. Rencontre avec celui que tout le monde surnomme "Brother Mah" :

     

    Peinture de Brotha Mah
    Tête de faune (si je ne m'abuse), de Pascal Mahdi


    • Quelle importance revêt le mouvement rastafari à tes yeux ?

    L'une des choses les plus importantes que représente ce mouvement ne tient pas à une morale religieuse mais à une éthique de l'existence. Je ne critique pas l'aspect religieux que peut avoir le mouvement mais ce qui me semble le plus universel se situe à mon avis plus au niveau de la spiritualité et de la liberté de la vie de chacun. Les patriarches rastas incarnent une forme de respect de toutes les formes de vie sur terre. Au-delà des dogmes et des principes religieux qui ne font pas vraiment avancer les choses, ces anciens transmettent un message universel de paix pour les générations à venir. Pour beaucoup, on est devenus rastas en écoutant la musique de Bob Marley qui chantait : "moi, je chante des chansons de liberté. Mais qui maintenant continuera à chanter ces chants de liberté ?" Pour ma part, je ne suis pas chanteur, je suis peintre et cette vision, cette interrogation restent en moi et transparaissent dans ma peinture.


    • Pour quelles raisons as-tu choisi de peindre ces ancêtres du mouvement ?

    C'est avant tout un acte de mémoire historique, pas seulement pour valoriser un peuple précis comme le peuple rasta. Pourtant, lorsque l'histoire d'un peuple est bafouée, on ne peut qu'être touché par cette histoire et tenter par notre travail de laisser des traces de ces "gens de bien". La bonté se lit sur leurs visages et cette bonté doit triompher un jour du mal, comme le chantait Bob Marley, malgré l'adversité et les machinations de Babylone. Ces "elders" ont résisté toute leur vie, subissant la pression et les persécutions, sans jamais faillir ni jamais ressembler à ceux qui leur faisaient du mal. Je pense que c'est une des meilleures choses à retenir pour tous ceux qui viendront après nous. Pour conclure sur ta question, mon travail porte aussi sur d'autres peuples génocidés, asservis,
    acculturés, comme les Amérindiens par exemple, les Africains et aussi sur toutes les formes de vie opprimées ou disparues comme certaines espèces animales et végétales. D'ailleurs, on peut faire un rapprochment entre des anciens de l'ordre de Nyabinghi comme Ras Pidow, Ras Sam Brown, Bongo Time et des chefs indiens comme Géronimo, Sitting Bull, Cochise et bien d'autres encore. La philosophie I-tal ne concerne pas uniquement le genre humain mais toute la nature. Il faut cesser de s'opposer les uns aux autres en fonction de nos origines raciales, religieuses, nationales, économiques ou autres. Ces divisions perdurent depuis des siècles et mènent le monde au suicide.
    L'unité n'est pas un vain mot et ces elders essayaient de nous le rappeler.


    • Tu as consacré plusieurs tableaux à Mumia Abu-Jamal, que peux-tu nous dire à ce sujet ?

    Ce n'est pas seulement un combat contre la peine de mort, mais contre tout un système qui protège certaines personnes qui abusent de leur soi-disant pouvoir au détriment du plus grand nombre et de toutes les minorités. Nous nous devons donc de réagir et de le défendre positivement. Libérons la voix des sans-voix. Défendre Mumia c'est aussi nous défendre. Défendre nos valeurs et nos vies ! Maximum respect pour Mumia* et Leonard Peltier !


    • Sur quoi travailles-tu en ce moment ?

    Plusieurs peintures sont en cours de réalisation : une variation rasta de la Cène et un portrait du patriarche nyabinghi Ras Boanerges. Il est aussi connu sous le nom de Bongo Watto. C'est un personnage extrêmement important dans l'histoire du mouvement rastafarien. Co-fondateur de l'Ordre de Nyabinghi, ce "fils de la foudre" a toujours refusé de se soumettre aux injustices de Babylone et c'est pour cette raison qu'il a passé de nombreuses années de sa vie en prison. Ce travail est un hommage à son courage et à sa sagesse. RASpect ! J'envisage aussi de publier un petit livre réunissant toutes mes peintures consacrées au mouvement rasta dans les mois qui viennent. Je cherche aussi un lieu plus apaisé qui me servirait à la fois d'atelier et de domicile.


    • D'où vient la fulgurance de ton coup de pinceau ?

    Tout d'abord, je dois remercier Bernard, un de mes professeurs pour son enseignement qui fut riche de sens pour moi. Ensuite, j'ai suivi ma propre voie et pour répondre plus précisément à ta question, mon trait traduit toutes les attaques qui me frappent et touchent aussi le monde. Mon travail est viscéralement imprégné par tout cela et c'est pour cette raison que ma peinture montre un combat permanent pour que les gens saisisent la difficulté à trouver un équilibre et à le maintenir. Cet équilibre est toujours instable et ce travail consiste à gagner du temps et du terrain sur le mal. Ce n'est pas une technique formatée, définitivement acquise, mais un travail constant, quotidien. Pour parler plus spécifiquement des techniques employées, la plupart des portraits sur les elders ont été faits à l'acrylique sur papier, quelques uns sont des huiles. Je ne travaille pas toujours avec la même technique. Mes origines métissées jouent aussi un rôle important dans mes créations artistiques.Le métissage est un trait d'union et d'amour entre les peuples de la terre. Il est exactement le contraire de ce que veut Babylone qui orchestre la division en créant la peur. Il faut réparer le Monde avant qu'il ne soit trop tard. Quant à mes influences picturales, on peut citer ici quelques peintres comme Le Caravage, Toulouse Lautrec, Le Greco, Van Gogh, Basquiat, Camille Claudel, Goya, Warrohl et bien d'autres... Au delà de ces grands peintres, ce sont surtout les nombreuses rencontres de ma vie personnelle qui m'ont aussi guidé.


    • Un dernier message ?

    Big up à tous mes frêres et grosse dédicace à ma petite fille Eloa ! One Love à tous de la part de Jah Pascal-Brother Mah ! Irie !

    *Pour plus d'informations sur Mumia Abu-Jamal, consulter le site du Cosimapp (Comité de Soutien International à Mumia Abu-Jamal et aux prisonniers politiques) : www.cosimapp-mumia.org


    Vous pouviez contacter Brotha Mah sur son e-mail: brother_mah@yahoo.fr

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